Direction financière

Les chief financial officers vont-ils devenir des chief value officers ?

Publié le 14 avril 2023 à 11h28

Jean-Louis Sevilla

L’extension continuelle des obligations réglementaires encadrant les indicateurs de RSE conduit cette thématique à prendre une importance croissante dans les entreprises. Une évolution qui pourrait se traduire, pour les directeurs financiers, par une mutation de leur mission. Ils pourraient devenir ainsi à terme les garants de la « valeur » de l’entreprise, c’est-à-dire de sa performance financière comme extra-financière. 

En 2017, un ancien juge de la Cour suprême d’Afrique du Sud, pays où les enjeux environnementaux et sociétaux sont particulièrement forts, et une professeure britannique de finance étaient parvenus à un constat apparemment paradoxal : alors que les entreprises sont de plus en plus évaluées sur leurs performances non financières, ce sont leurs directions financières qui disposent des meilleurs outils pour mesurer les actions de responsabilité environnementale et sociétale (RSE). Ils en avaient conclu que la fonction de chief financial officer (ou directeur financier) avait vocation à évoluer vers celle, plus large, de chief value officer (CVO), qu’ils avaient décrite dans un ouvrage commun. Pour eux, le CVO engloberait l’ensemble des créations (ou des destructions) de valeurs par l’entreprise, y compris environnementales, sociétales et humaines.

Les obligations croissantes de publier des déclarations de performances extra-financières (DPEF) accréditent la pertinence du CVO, au point que certains considèrent que la fonction financière est à la veille d’une nouvelle mutation, d’importance comparable à celles provoquées par l’adoption des IFRS en 2004, quand les principes de juste valeur et de pertinence avaient remplacé ceux de valeur historique et de prudence, entre autres. Le 17 janvier dernier, alors que la plupart des directions financières se focalisaient sur les comptes de l’exercice 2022, l’Autorité des marchés financiers (AMF) publiait une note rappelant l’importance de la publication des DPEF. Ce rappel n’a rien d’anecdotique, comme le montrent les documents d’enregistrement universel (DEU) publiés par les groupes du CAC 40 pour 2022. Les DPEF y occupent une place comparable à celle des comptes consolidés et leur contenu ressemble de plus en plus à celui des indicateurs financiers. Les infographies et autres déclarations nébuleuses de RSE ont cédé la place à des tableaux de chiffres précis et normés. En outre, les DPEF sont certifiées par les mêmes cabinets d’audit qui se prononcent sur les états financiers, après des procédures de vérification différentes, mais avec une signature répondant au même souci de qualité.

Le renforcement des informations extra-financières va se poursuivre et s’étendre. A compter du 1er janvier 2024, la quasi-totalité des ETI et des PME françaises devront également publier des DPEF ajoutées au Code de commerce en 2021. Celles qui échapperaient à l’obligation légale de les publier, ou seraient tentées de s’y soustraire, risquent fort d’y être contraintes par leurs clients, leurs investisseurs ou leurs banquiers, ou de perdre l’accès à certains marchés et financements. Identifier, produire et publier des déclarations de performances extra-financières (DPEF) pertinentes et fiables demande des profils alliant méthodes financières et compréhension de la RSE.

Si les grands groupes, les premiers à mesurer et reporter les impacts RSE de leurs activités, disposent de moyens humains et financiers permettant de créer des services dédiés, au besoin en y affectant des financiers, il n’en sera pas de même pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), encore moins pour les PME. Dans ces entreprises, la direction financière est théoriquement l’organisation la mieux placée pour collecter et conserver des données fiables, auditables et surtout significatives dans les domaines disparates de la RSE ajoutés au Code du commerce.

«Le master de chief value officer (CVO) vise à cerner les implications de la RSE pour mettre au point des méthodes de collecte et d’analyse d’informations pertinentes et fiables. »

Amélie Ruellan Responsable des développements académiques ,  Audencia

Une formation nécessaire aux principes et aux problématiques de la RSE

En pratique, l’élargissement des responsabilités de la direction financière aux informations non financières risque toutefois de s’avérer ardu pour les personnes concernées, qui devront se former aux principes et aux problématiques de la RSE, où leurs capacités d’analyse et leur rigueur seront d’autant plus nécessaires que les impacts environnementaux et sociétaux seront variés, complexes et diffus. C’est dans ce but que, en 2022, Audencia (anciennement Ecole supérieure de commerce de Nantes) a ouvert un executive master de chief value officer. « Les principes fondamentaux de la comptabilité, comme la permanence des méthodes ou la prééminence de la substance sur la forme doivent évidemment s’appliquer aux déclarations de performances extra-financières (DPEF) qui sont de plus en plus exigeantes et contrôlées », déclare Amélie Ruellan, responsable des développements académiques d’Audencia et experte-comptable.

« Les normes et les principes de la comptabilité extra-financière sont en cours d’élaboration, ils évoluent et emploient des extrapolations statistiques, par exemple pour exprimer les émissions en équivalent carbone d’un produit tout au long de son cycle de vie, explique Amélie Ruellan. Le master de chief value officer (CVO) vise à cerner les implications de la RSE pour mettre au point des méthodes de collecte et d’analyse d’informations pertinentes et fiables. »

Les deux premières promotions de CVO ont attiré une dizaine d’étudiants chacune. Majoritairement issus des métiers de la finance et soutenus par leurs employeurs, ces managers, âgés en moyenne de 47 ans, s’orientent vers des postes de direction du développement durable, combinés ou non à des responsabilités de direction financière ou vers des cabinets de conseil et de contrôle de la RSE.

De nouvelles missions pour l’audit

  • Les missions d’examen des DPEF emploient déjà des effectifs significatifs dans les cabinets d’audit. « Chaque mission d’examen des DPEF d’une société du SBF 120 mobilise une équipe pluridisciplinaire, en moyenne d’une dizaine de personnes, pendant des périodes de trois à six mois, indique Fanny Houlliot, associée, coresponsable du Centre d’excellence ESG de KPMG en France. Les départements RSE des cabinets d’audit sont dirigés, au choix, par d’anciens professionnels de l’audit financier formés à la RSE ou par des scientifiques formés aux techniques d’audit. »

Un vivier de futurs CVO dans l’audit 

Un vivier de futurs CVO est également en phase de croissance dans les cabinets d’audit chargés de certifier les DPEF. Les cabinets anticipent que l’élargissement des obligations de la RSE aux ETI et aux PME conduira à l’apparition de nouvelles fonctions dans ces entreprises, qui devront réunir la rigueur de la comptabilité financière et la compréhension des enjeux sociétaux et environnementaux. A l’avenir, de nombreux professionnels passés par les cabinets d’audit RSE essaimeront vers les entreprises et y apporteront une culture rigoureuse du chiffre favorisant l’émergence de CVO. La profession de commissaires aux comptes constate également l’appétence de ses membres pour les audits de RSE. « 71 % des répondants à notre enquête annuelle 2022 déclarent avoir été formés à la RSE, constate Yannick Ollivier, président de la CNCC. Nos formations sur ce sujet rencontrent un engouement inédit, notamment en région. »

Une nouvelle fonction, appliquant les principes et les méthodes de la comptabilité et de l’audit financier à des données humaines, sociétales et environnementales, est en train de se structurer. Elle devrait limiter le « green washing », au moins celui résultant d’approximations méthodologiques.

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